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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Voilà l’honorable personne qu’une partie notable de la nation anglaise réclamait à grands cris comme souveraine. Nouvelle preuve de la bonne foi des oppositions en tous pays.

Après avoir passé quelques jours dans l’enchantement que je suis toujours assurée de retrouver à Genève, je traversai le Jura, au milieu de la neige, et j’arrivai à Paris la veille de la naissance de monsieur le duc de Bordeaux. Je ne nierai pas qu’elle ne m’ait causé une vive joie et que je n’aie répété toutes les exagérations royalistes sur cet enfant du miracle, comme nous l’appelions.

Véritablement, lorsqu’on pense que son père avait péri pour assurer l’extinction de la race et que ce faible rejeton avait échappé à toutes les excitations morales et physiques de sa malheureuse mère pendant cette fatale soirée du 13 février, il était permis de trouver là le doigt de la Providence et de compter sur sa protection.

Toutefois, je me rappelle parfaitement une circonstance qui me frappa dans le temps et que nous avons bien souvent remémorée depuis. Je me promenais dans mon salon avec Pozzo et je poétisais sur cette naissance depuis une heure. Tout à coup, il s’arrêta, posa sa main sur mon bras, et me dit :

« Vous voilà bien contente, bien joyeuse, bien charmée ! Vous entendez toutes ces cloches qui sonnent, hé bien, c’est le glas de la maison de Bourbon ; souvenez-vous de mes paroles. »

Pozzo n’avait que trop bien prévu. La naissance de monsieur le duc de Bordeaux excita sa famille à vouloir rétablir la monarchie absolue, en même temps qu’elle enlevait au peuple l’espérance de l’extinction naturelle de la branche aînée avec laquelle il ne se sentait pas en sympathie.