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LE PRINCE DE CARIGNAN

c’était que la « paüra ». Sur la réponse un peu dédaigneuse de monsieur de Metternich, le Roi reprit, avec une extrême bonhomie :

« Non… non ce n’est pas ça… ve lo dirò io… C’est une certa cosa, qui vous piglia là », en mettant sa main sur le sommet de sa tête et faisant le geste de tordre ; « et qui vous prend les cervelles et les fait danser fin qu’on croit qu’elles vont sortir de la tête ; poi scende al stomacho… on croit qu’on va svenare… pare qu’on se meurt… » Et il mettait les deux mains sur son estomac, « poi scende un po più giù », les deux mains suivaient. « On sent une dolor del diavolo, et poi… poi… brebre brebre »… ; en lâchant les mains et terminant sa description physiologique par un geste expressif.

Lorsque l’insurrection militaire se déclara en Piémont, le roi Victor donna sa démission et descendit du trône plutôt que d’imiter le roi de Naples en s’humiliant devant ses sujets pour les trahir par la suite. Victor avait à la fois trop de courage et trop de loyauté pour jouer un pareil rôle. Celui qu’accepta le prince de Carignan dans cette triste affaire, si mal conçue, lui attira l’animadversion de tous les partis.

J’avoue que je me sens un assez grand fond de bienveillance envers ce prince pour être tentée de l’excuser. Il était bien jeune : nourri dans la haine des autrichiens qu’il avait raison de détester, il savait ce sentiment partagé par le Roi.

On l’avait entouré et persuadé qu’il s’agissait d’entrer dans une ligue commune à tous les peuples de la péninsule. Naples était déjà émancipée. La Lombardie, la Romagne, la Toscane devaient lever à la fois le drapeau de l’indépendance et expulser les allemands de leur sein. La nationalité italienne une fois rétablie, on diviserait ce pays en deux grands États capables de se défendre