Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Il avait constamment une oreille aux ordres de tous les imbéciles qui voulaient y déposer des sornettes ou lui raconter leurs puériles affaires. Il écoutait avec l’air de l’intérêt, sans aucun signe d’impatience, s’engageait à profiter de renseignements si utiles, et congédiait un homme dévoué qui s’en allait persuadé qu’il gouvernait Villèle et le proclamait un ministre incomparable.

Je suis loin de faire un tort à monsieur de Villèle de cette conduite. La faculté de se laisser patiemment ennuyer, sans trop le témoigner, est une vraie qualité d’homme d’État, surtout dans un gouvernement représentatif.

Le plus grand obstacle de monsieur de Villèle aux affaires c’est d’avoir été trop pressé d’y arriver. Son mérite incontesté et son influence dans son parti l’y auraient amené un peu plus tard ; mais, pour nouer l’intrigue qui l’y avait poussé, il lui avait fallu prendre des engagements qui le livraient pieds et poings liés à la Congrégation,

L’esprit prêtre et l’esprit émigré, relevant tous deux de Monsieur, voulaient diriger les affaires en dehors des intérêts nationaux. Monsieur de Villèle le sentait mieux que personne, mais, pris dans ses propres filets, il n’osait pas même chercher à s’en affranchir.

Deux de ses collègues, messieurs de Montmorency et de Clermont Tonnerre, se trouvaient les agents directs de la Congrégation. Messieurs de Lavau et Franchet lui obéissaient et l’inspiraient tour à tour, et monsieur de Rainneville, sous le titre de secrétaire général des finances, devint son espion près de monsieur de Villèle.

Homme d’esprit, monsieur de Rainneville ne tarda pas à s’apercevoir des dangers où l’on précipitait la monarchie ; il conçut des inquiétudes, mais ne put s’arrêter.