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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/81

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MORT DU DUC DE RICHELIEU

Il entra dans sa chambre, demanda à souper, mangea fort peu. On le décida à envoyer chercher le docteur Bourdois. Bourdois était malade ; il se fit remplacer par Lerminier, médecin accrédité mais qui ne connaissait pas le tempérament du duc. Bourdois l’avertit qu’il avait affaire à l’homme du monde le plus nerveux et le plus impressionnable par les affections morales : « Je lui ai quelquefois cru une maladie grave, dit-il, et, deux heures après, je l’ai retrouvé dans son état naturel. »

Muni de ces funestes instructions, Lerminier arriva chez monsieur de Richelieu. Il le trouva couché, moitié assoupi, et fort irrité de voir une figure nouvelle. Il proposa divers remèdes qui tous furent repoussés. Enfin la consultation se borna à ordonner quelques tasses d’infusion de feuilles d’oranger pour calmer la soif ; on verrait le lendemain ce qu’il serait convenable de faire.

Lerminier retourna chez Bourdois lui rendre compte de sa visite et de l’exaspération du duc, seul symptôme qui l’inquiéta. Bourdois lui assura l’avoir toujours trouvé ainsi dès qu’il avait un peu de fièvre.

À six heures, l’abbé Nicole, avant de se rendre à son cours, entra chez monsieur de Richelieu. Son valet de chambre lui dit qu’il reposait après une nuit fort agitée. Il s’approcha pour le regarder et fut tellement frappé de son changement qu’il se décida à envoyer chercher des médecins. Il en arriva plusieurs ; on essaya de tous les remèdes, mais vainement : monsieur de Richelieu ne se réveilla pas de ce sommeil de mort. Avant midi, il avait cessé de vivre.

Cette mort subite, puisque personne ne le savait même souffrant, frappa tout le monde. Ses amis, et il en avait de sincères, le pleurèrent amèrement, et tous les gens de bon sens le regrettèrent dans le moment et plus encore par la suite.