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MATHIEU DE MONTMORENCY

Élevé dans l’hostilité de la Cour, par suite du mécontentement de ses parents, livré aux soins de l’abbé Sieyès pour lui former le cœur et l’esprit, il tomba, ainsi préparé, dans la société intime de la famille d’Argenson où il ne fit qu’accroître ses dispositions révolutionnaires et développer l’incrédulité philosophique inspirée par son instituteur. Toutefois la droiture d’un cœur passionné le fit reculer devant l’idée d’épouser Hortense de Luynes, tandis qu’il adorait la marquise de Laval. Celle-ci, plus avisée, un peu plus âgée et peut-être moins éprise, comprit fort bien que la rupture de ce mariage lui serait imputée à crime par toute la famille et obtint, par ses sollicitations, le consentement de Mathieu.

Il conduisit à l’autel mademoiselle de Luynes encore enfant, puis elle rentra dans son couvent. Mathieu l’oublia à peu près auprès de la marquise. Cependant les années amenèrent le moment où il devint convenable de réunir les jeunes époux. Il fallut encore avoir recours à l’influence de la marquise.

Ce rapprochement était à peine fait que la duchesse de Luynes, après quinze ans de stérilité, accoucha d’un fils, et, ce qui fut bien plus sensible à Mathieu, son cousin, Gui de Laval, mourut sans enfants, laissant une veuve dont la possession aurait fait son bonheur.

Il était trop honnête homme pour n’avoir pas d’excellents procédés pour sa jeune épouse, mais il l’accabla de ses froideurs et, pour étourdir son cœur, se jeta tête baissée dans toutes les exagérations révolutionnaires. Ses parents ne l’arrêtaient pas et sa maîtresse l’y poussait. Elle était intimement liée avec mesdames de Staël, de Broglie, de Beaumont et partageait leurs opinions qu’elle faisait adopter à Mathieu. Il montra assez de talent à la tribune où il finit par renier, avec toute l’exagération d’une jeune cervelle, son origine et son Dieu. Il attira