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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/92

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

prison, pendant la Terreur, elle avait fait vœu de célibat pour sauver sa tête et celle de ses parents.

Mathieu se soumit et n’eut d’autre ressource que de suivre son exemple et de mener une vie tout à fait ascétique. Il se livra aux bonnes œuvres, aux mortifications de la chair et s’exalta dans les idées religieuses, repoussé qu’il était de tous les liens de famille. Nous l’avons vu pendant vingt ans tenant cette conduite et traité par sa femme avec un dédain poussé à un tel point que, par exemple, lorsqu’elle dînait hors de chez elle, elle ne se donnait pas la peine de l’en prévenir, et il rentrait pour se mettre à table sans trouver le repas qu’elle défendait à ses gens d’apprêter.

Il n’avait aucune fortune personnelle et, même lorsque la mort du duc de Luynes rendit madame Mathieu immensément riche, elle ne lui donna pas une obole. Je l’ai vu voyager sur l’extérieur des diligences parce qu’il n’avait pas de quoi payer une place dans l’intérieur. Elle joignait la désobligeance des formes aux duretés du fond, et il fallait l’inépuisable patience de Mathieu pour supporter une pareille conduite.

Il était d’une charmante et noble figure, aimable, spirituel et fait pour plaire. Il partageait son cœur entre Dieu et l’amitié, et portait ces sentiments jusqu’à l’exaltation. La Restauration y ajouta l’ambition, et cette ambition dévote qui, en sûreté de conscience, se prête même aux plus vilaines intrigues, assurée qu’elle est de ne prétendre au pouvoir que pour la plus grande gloire de Dieu.

Mathieu, que le besoin d’expier les erreurs de sa jeunesse avait jeté dans les mains des prêtres, était dès longtemps disciple de la petite Église ; il devint facilement membre de la Congrégation : elle le poussa pour s’en faire un appui.