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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/231

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Madame de Staël conservait le goût le plus vif pour son esprit, mais elle en avait d’autres passagers qui dominaient fréquemment celui-là. Dans ces occasions, Benjamin voulait se brouiller ; alors elle se rattachait à lui plus fortement que jamais et, après des scènes affreuses, ils se raccommodaient.

C’était pour peindre cette situation qu’il disait qu’il était fatigué d’être toujours nécessaire et jamais suffisant. Il avait conservé longtemps l’espoir d’épouser madame de Staël. Sa vanité et son intérêt l’y portaient autant que son sentiment, mais elle s’y refusait obstinément. Elle prétendait le retenir à son char, et non s’atteler à celui de Benjamin. D’ailleurs, elle tenait beaucoup trop aux distinctions sociales pour échanger le nom de Staël-Holstein pour celui de Constant. Jamais personne n’a été plus esclave de toutes les plus puériles idées aristocratiques que la très libérale madame de Staël

Dans un voyage que Benjamin Constant fit en Allemagne, il rencontra une madame la comtesse de Magnoz, née comtesse d’Hardenberg. C’était bien autre chose que mademoiselle Necker ! Elle s’amouracha de lui et voulut l’épouser. Je crois que le désir de montrer à madame de Staël qu’une personne chapitrable ne dédaignait pas son alliance fut pour beaucoup dans le consentement qu’il y donna.

Madame de Staël eut connaissance de ce projet, et entra dans de telles fureurs qu’il n’osa pas l’accomplir ouvertement. Il se maria pourtant secrètement ; sa femme l’accompagna jusqu’à Lyon. Là, elle fit semblant de boire un peu de quelque drogue qui lui procura de grands vomissements et déclara qu’elle s’empoisonnerait pour de bon s’il ne renonçait pas à madame de Staël en avouant son mariage. D’un autre côté, celle-ci promettait de se poignarder s’il prenait ce parti.