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BENJAMIN CONSTANT

Tel était l’état des choses lorsque Benjamin Constant et madame de Staël se réunirent à Aix sous la médiation de madame Récamier. Les matinées se passaient en scènes horribles, en reproches, en imprécations, en attaques de nerfs. C’était un peu le secret de la comédie. Nous dînions en commun, comme cela se pratique aux eaux. Petit à petit, pendant le repas, les parties belligérantes se calmaient. Un mot fin ou brillant en amenait un autre. Le goût mutuel qu’ils avaient à jouer ensemble de leur esprit prenait le dessus et la soirée se passait d’une manière charmante, pour recommencer le lendemain les fureurs de la veille.

Le traité fut enfin signé. En voici les bases : madame de Staël écrirait à madame Constant, reconnaissant ainsi le mariage ; mais il ne serait avoué pour le public que trois mois après son départ pour l’Amérique, où alors elle avait l’intention réelle de se rendre. Cette concession du cœur à la vanité ne m’a jamais paru bien touchante.

Benjamin, tout en cédant aux cris, en fut blessé. Au reste, madame de Staël ne partit pas, et le mariage fut reconnu, mais assez longtemps après. Je crois que madame de Staël avait eu le désir de se ménager la puissante distraction dont lui était l’esprit de monsieur Constant, et de l’emmener en Amérique. Peut-être même pensait-elle à la possibilité de l’épouser, une fois au delà de l’Atlantique, et son mariage avec une autre lui fut d’autant plus sensible en ce moment. Il existait un lien bien cher entre eux. Il ne manquait pas de prendre des façons tout à fait paternelles avec la jolie enfant qui avait l’indiscrétion de rappeler tous ses traits.

Je me souviens particulièrement d’une des journées de cette époque. Nous allâmes tous dîner chez monsieur de Boigne à Buissonrond, près de Chambéry. Il avait réuni