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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/105

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

faits qu’il distribue à tout venant, et alla reprendre sa place sur le sopha.

La journée du lundi ne me laisse aucun souvenir particulier. L’agitation croissait. Les groupes se multipliaient sans être tout à fait hostiles. Les propos annonçaient des manifestations imminentes. Les ouvriers avaient quitté le travail. La bourgeoisie de Paris, avec la stupide badauderie qui la distingue, se réjouissait dans l’idée de donner une leçon au pouvoir, selon son expression favorite, et ne s’apprêtait pas à défendre un gouvernement qui lui appartenait pourtant et qu’elle chérissait au fond.

Tous les symptômes s’aggravaient de moment en moment, et il fallait bien finir par s’en occuper sérieusement.

La séance de la Chambre des pairs, son grand dîner du lundi et la réception qui s’ensuivait ayant retenu monsieur Pasquier, je ne l’avais pas vu. Il m’apprit, en venant dîner chez moi le mardi, que les troupes avaient été mandées de tous côtés, que le banquet fixé au lendemain était décidément défendu, qu’on ferait un grand déploiement de forces et qu’on ne permettrait à aucun groupe de se former.

Cela était d’autant plus nécessaire qu’ils étaient évidemment sous la direction des sociétés secrètes. Chaque groupe était accompagné d’un homme en redingote, proprement mis, portant une casquette presque uniforme le signalant à son monde.

On voyait aussi sortir de tous les égouts ces affreuses figures que la fange de Paris fait éclore à l’approche des mouvements révolutionnaires. Le moment de leur importance n’était pas encore venu ; on ne voulait pas effrayer d’avance la population.

Malgré tous les rapports recueillis dans le cours de