Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/224

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franchissant l’Entre-Deux-Mers ; j’aurais, d’ailleurs, dans un grand arrondissement, laborieux à conduire, beaucoup de travail, désormais inutile à ma carrière, et peu de liberté, comme peu de facilités, pour aller à Bordeaux et surtout à Houeillès. Mais, je ne supposais pas que mon rôle de futur Préfet, en subsistance à Blaye, durerait plus de six années, c’est-à-dire jusqu’au 24 février 1848, c’est-à-dire jusqu’à la chute, si peu prévue, si brusque, de la Monarchie de 1830.

Ma nouvelle prestation de serment accomplie, je pris le bateau du matin, pour aller prendre possession de ma nouvelle Sous-Préfecture. Favorisé par la marée, il ne mit que deux heures et demie à faire la descente de Bordeaux à Blaye, malgré ses nombreuses escales. À marée contraire, le voyage dure trois heures et demie et même quatre heures, suivant la force du courant. De même, à la montée, de Blaye à Bordeaux.

Mon prédécesseur, M. Laumond, m’attendait, pour me céder son matériel et ses fournitures de bureaux. Je ne me rappelle plus s’il avait été contraint à donner sa démission ou révoqué. Mais, je suis parfaitement certain que tout le monde, à Blaye, s’accordait à considérer le départ de cet étrange Sous-Préfet, comme une nécessité.

C’était un gros petit homme, d’âge déjà mûr ; blondasse, aux cheveux plus que rares ; au visage pléthorique, trahissant sa prédilection pour la bonne chère et le bon vin ; grand parleur, hâbleur même, visant à l’esprit ; en somme, un important grotesque, ne s’apercevant pas qu’on s’amusait de lui ; sans la moindre suite dans les idées, ce dont il ne s’inquiétait guère ;