Aller au contenu

Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/110

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
99
la loi de trois ans

par une action personnelle incessante et habile ; en outre, il s'était dépensé en province dans de nombreux discours, pour démontrer la nécessité de la loi. Le 15 juin, il avait été prononcer à Rennes un de ces discours ; il était rentré le 16 au matin et il était visiblement fatigué ; il n'avait pas tous ses moyens pour entamer la lutte décisive devant la Chambre. Son discours s'en ressentit, et il fut peu d'impression sur l'assemblée. J'étais assis à côté de M. Barthou, président du Conseil, qui, sentant le mauvais effet produit sur l'assemblée, se pencha vers moi et me dit : "Mais, vous n'avez donc pas préparé le discours du ministre ? — Pardon, voici le texte que je lui ai remis. — C'est bien, donnez-le-moi." Il l'emporta, et quelques jours plus tard, le 26 juin, à l'occasion d'un amendement proposé par M. Augagneur, il prit à son tour la parole, exposa la question avec une telle force et une telle netteté qu'à partir de ce moment le succès du gouvernement fut assuré.

Un incident faillit cependant mettre tout en question. Parmi les innombrables contre-projets présentés, l'un d'eux le fut par MM. Paul-Boncour et Messimy. Paul-Boncour prit la parole le premier : il demandait le maintien du service de deux ans avec des dates d'incorporation différentes, de façon à ne pas laisser l'armée pendant l'hiver avec une seule classe instruite, la deuxième à l'instruction. Le système en lui-même ne résolvait pas la question, mais l'orateur fut si étonnant de force persuasive et d'adresse, qu'à la fin de la séance, j'eus l'impression très nette que si on avait voté après ce discours, notre projet eût été compromis. Heureusement on ne vota que quelques jours plus tard ; l'effet produit par le discours de Paul-Boncour avait eu le temps de s'évaporer, et quand on passa aux voix, sa proposition fut rejetée.

Pour ma part, j'eus à monter dans la tribune, le 8 juillet, à l'occasion de la discussion de l'article II. Cet article modifiait les effectifs en hommes de l'armée active des différentes unités fixés par les lois antérieures. Le général Pau devait prendre la parole ; mais souffrant depuis quelque temps, il dut, au dernier moment, me laisser le soin de