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Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/416

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mémoires du maréchal joffre

que si le vainqueur de Sadowa et de Sedan avait mené avec beaucoup d'application et de méthode ses armées jusqu'à la bataille, la direction de cette dernière lui avait toujours échappé, sans qu'il parût même rien tenter pour y faire sentir sa volonté. Cette manière correspondait au tempérament du maréchal qui répugnait sans doute à diriger des événéments qui, par définition, déjouent les prévisions : il admettait que la conduite de la bataille relevait du commandement subordonné. Les guerres qu'il avait menées n'avaient point apporté de démenti à cette doctrine, de Moltke ayant eu la rare fortune de ne rencontrer comme adversaires que des généraux comme Bénédeck et Bazaine dont l'inertie et la passivité étaient, pourrait-on dire, absolues. Les Allemands ayant constaté les résultats acquis par cette méthode admirent qu'elle était bonne. Ils s'y tinrent, et le général de Moltke, le neveu du maréchal, qui menait les arémes allemandes dans les premières semaines de la guerre, n'était pas homme, autant qu'on en peut juger, à modifier une formule qui devait plaire secrètement à son tempérament effacé. De fait, il ressort bien des documents que nous avons aujourd'hui entre les mains, que le haut commandement allemand, de son lointain quartier général de Luxembourg, n'a presque rien su de ce qui se passait sur le champ de bataille de la Marne, et réciproquement, il m'a fait sentir son action sur ses commandants d'armée que par à-coups, il ne les a pas orientés sur la situation d'ensemble, et il ne leur a donné ses directives que tardivement et incomplétement.

En France, nous avions une autre conception. Nous admettions que la bataille moderne, par l'extension des fronts, par l'importance des masses à mouvoir, par sa durée, ne se prête plus aux soudaines inspirations, mais exige par contre une plus grand esprit de prévision que les batailles dont le général en chef pouvait suivre les péripéties dans le champ de sa lunette. Mais nous pensions, néanmoins, que la bataille, malgré ses difficultés, peut et doit être conduite. Si intelligents et si énergiques que soient