Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/417

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
401
la bataille de la marne

les commandants d'armée, ils ne connaissent qu'une faible partie de l'action ; les événements qui se déroulent devant leur front prennent à leurs yeux un relief qui les déforme ; seul, par les vues d'ensemble qu'il a sur la bataille, le général en chef peut donner aux événements leur valeur exacte. En outre, la situation se modifie constamment ; seul le chef est à même de donner, à mesure qu'ils se déroulent, les directives qui permettent d'exploiter les événements.

La bataille de la Marne met en lumière ce que je viens de dire. Elle a commencé lorsque nous avons réussi à concentrer autour de la droite allemande une masse qui nous donnait sur cette partie du champ stratégique le double avantage de la supériorité numérique et de la position. Néanmoins si nous avions essayé d'appliquer brutalement une forme d'enveloppement à tout prix qui n'était d'ailleurs pas dans mon esprit, nous aurions fait le jeu de l'ennemi. Mais nos moyens étaient tels, et notre système était assez souple pour que la réaction inévitable de l'ennemi ne nous prît pas au dépourvu. Kluck n'a pu parer à la menace qui pesait sur sa droite, qu'en creusant entre son armée et celle de Bülow une brèche qui est allée en s'agrandissant. Ainsi, la bataille de la Marne a, dès le deuxième jour, revêtu le caractère d'une action de rupture du dispositif ennemi, rupture que le commandant suprême allemand n'a eu ni les moyens, ni le temps d'éviter.

Une pareille conception de la conduite de la bataille, dans les conditions d'étendue des fronts de combat modernes, implique non seulement une complète unité de doctrine, mais encore des liaisons sûres et rapides entre le commandant en chef et ses subordonnés, au moyen du télégraphe et du téléphone, et aussi par l'intermédiaire d'officiers qui sont, à proprement parler, l'émanation de la pensée et de la volonté du chef suprême. La mission qui incombait à ces officiers était, certes, délicate ; on les a parfois accusés de s'être donné des attributions qui dépassaient leur garde. Il est possible que des erreurs aient été commises par ces agents de liaison qui ont peut-être été