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mémoires du maréchal joffre

le haut commandement vieilli dans ses idées périmées, rendu méfiant par une période de politique agitée, se montrait sceptique et impuissant ; c'est dans ce cadre qu'une jeune opinion ardente, croyant s'être bâti un corps de doctrine conforme aux traditions de la guerre, se laissait entraîner par son enthousiasme et sa foi jusqu'à des exagérations dangereuses. Telle était la situation morale de l'armée à mon entrée en fonctions.

Il y avait une évidente vérité dans l'affirmation que seule l'offensive permet de s'affranchir de la volonté de l'adversaire. L'histoire militaire le prouve surabondamment. Elle montre aussi que les guerres d'attente n'ont jamais conduit qu'à la défaite. C'était également mon sentiment que nos forteresses ne présentaient plus une solidité suffisante pour servir de base à un système de guerre.

Mais si j'étais persuadé de la supériorité de l'offensive, j'estimai que nous ne devions pas la mener inconsidérément, sans précautions, sans préparation intellectuelle et morale de l'armée, sans mettre notre matériel à hauteur de cette forme supérieure de la guerre.

Cette volonté de donner aux opérations une forme offensive et de préparer notre armée à les exécuter, correspondait d'ailleurs si profondément à l'opinion éclairée du pays las de porter éternellement le poids des menaces allemandes, que le pacifique M. Fallières lui-même à l'Élysée, le 9 janvier 1912, au cours du Conseil supérieur de défense nationale, constatait avec plaisir qu'on renonçait aux projets défensifs qui constituaient un aveu d'infériorité. "Nous sommes, ajoutait-il, résolus à marcher droit à l'ennemi sans arrière-pensée ; l'offensive convient au tempérament de nos soldats et doit nous assurer la victoire, à la condition de consacrer à la lutte toutes nos forces actives sans exception."

Créer un corps de doctrine ferme, l'imposer au commandement et à la troupe, former un instrument capable d'appliquer ce qui me paraissait être la sainte doctrine, telle m'apparaissait la tâche urgente à laquelle je devais me consacrer.