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Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/437

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mémoires du maréchal joffre

de la 3e armée qui franchissait cette dernière rivière. Le reste de l'armée Sarrail ne progressait pas encore, mais l'état-major me rendait compte en fin de journée qu'un "calme impressionnant" régnait sur tout son front[1].

Ce soir-là, je télégraphiai au ministre :

"La bataille de la Marne s'achève en victoire incontestable."

Avant de rédiger ce bulletin de victoire, une question se pose : quel nom donner à la bataille que nous venions de gagner ?

Autrefois, les batailles tiraient leur nom du lieu auprès duquel elles avaient été livrées, ou du point qui avait vu se dérouler l'action décisive. La bataille moderne, avec ses fronts immenses sur lesquels de multiples actions également importantes s'engagent simultanément, ne peut plus se caractériser par le nom d'une localité. Déjà en Mandchourie, les belligérants avaient été amenés à donner à plusieurs batailles le nom de fleuves dont la vallée avait servi de théâtre à la lutte. La bataille que les forces alliées venaient de livrer de Verdun aux abords de Paris s'était déroulée dans la vallée de la Marne et de ses affluents : Ourcq, Grand et Petit-Morin, Saulx et Ornain. C'est ce qui me détermina à donner à cette bataille le nom de "la Marne", qui évoquait à la fois l'idée d'un front et d'une région étendue.

Comme je l'ai dit au début de ce chapitre, la bataille de la Marne qui avait commencé de notre côté par une manœuvre d'enveloppement de l'aile droite ennemie, s'était achevée par la dislocation du dispositif adverse dans lequel deux brèches s'étaient ouvertes, l'une entre les

  1. Je dois dire que ce compte-rendu de la 3e armée qui fut téléphoné, si mes souvenirs sont exacts, par le colonel Leboucq, chef d'état-major de cette armée, en personne, me plongea dans l'étonnement, et me causa un vif mécontentement. En un moment où l'ennemi s'avouait battu sur toute la ligne, la 3e armée, si bien placée pour achever la victoire, se contentait, redoutant je ne sais quel traquenard, de constater que le calme régnait sur tout son front. Je lui fis aussitôt transmettre l'ordre de poursuivre énergiquement l'ennemi.