Aller au contenu

Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/443

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
426
mémoires du maréchal joffre

renouvelé à une échelle gigantesque. Le plan de nos adversaires reposait sur une victoire rapide dans l'ouest. La nécessité de gagner la guerre avant que les ressources de la Russie ne fussent mises en oeuvre, s'imposait maintenant d'autant plus que l'Empire britannique s'était jeté dans la guerre à nos côtés. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises dans les pages qui précèdent, c'eût été de notre part faire le jeu de l'ennemi que de risquer les destinées du pays dans un moment où il s'agissait pour nous avant tout de durer. C'est cette considération qui m'avait permis d'attendre un retour toujours possible de la fortune, aux prix du sacrifice d'une partie de notre sol que j'espèrais momentané. A défaut d'une défaite totale infligée aux Allemands, l'occasion patiemment attendue venait de nous permettre de les refouler sur toute la ligne et notre victoire les contraignait à s'enterrer dans des tranchées ! Quelle déception pour des gens pressés !

Mais ce résultat qui, à bien dire, est la cause première de la défaite finale des Allemands, on n'en mesura pas sur le moment tout le prix.

Chez les Alliés et particulièrement en France l'opinion publique, après avoir éprouvé un immense soulagement en voyant s'éloigner la menace qui dans les premiers jours de septembre faisait redouter toutes les catastrophes, ne vit quelques jours après la victoire de la Marne qu'une chose : c'est que la masse des armées allemandes s'incrustait sur notre sol. Le ministre de la Guerre, au lieu de montrer au public l'heureux renversement de la situation, apporta des atténautions dans la publication des communiqués que je lui avais adressés à la suite de la bataille. M. Millerand, à qui je fis connaître l'impression un peu attristée que j'avais éprouvée en constatant ces atténuations, m'écrivit le 15 septembre :

"...Je suis le seul coupable, et je ne voudrais pas qu'il pût demeurer dans votre esprit l'ombre d'un doute sur les considérations qui m'ont poussé à mettre ainsi une sourdine à l'expression de notre joie.

"Il me paraît bon de ménager les nerfs de ce pays et