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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 1 1882.djvu/64

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supposant toujours les hommes justes et bons, et fermement convaincu que cette terre deviendrait incessamment, par le progrès des lumières et de la vertu, un séjour de paix et de félicité parfaites ; principes, dont j’ai été depuis forcé de rabattre beaucoup, j’en conviens.

Je passai en Sorbonne, et dans ces douces illusions, environ cinq années, toujours lisant, toujours disputant, toujours très-pauvre, et toujours content. J’étais logé sous le comble, avec une tapisserie de Bergame et des chaises de paille. Je vivais dans la bibliothèque, qui était belle et bien fournie. Je n’en sortais que pour aller aux thèses et dans la salle à manger commune. Je ne connaissais personne que mes confrères. Je n’allais point aux spectacles, faute d’argent ; et puis, pour ne pas violer les lois, ou plutôt les coutumes et les mœurs de la maison. Je dévorais les livres. Locke, Bayle, Le Clerc, Voltaire, Buffon, Massillon me délassaient de Tournely, de Morin, de Marsham, de Clarke, de Leibnitz, de Spinosa, de Cudworth ; et comme plusieurs de mes confrères apportaient dans ces études la même ardeur que moi, nos discussions étaient de nouveaux et puissans moyens d’instruction.

En 1750 et 1751, je fis ma licence avec quelque distinction. Nous étions environ cent vingt dans cette carrière : à la distribution des places, je fus le quatorziême ou le quinzième, si je m’en souviens