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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 2 1882.djvu/13

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pied et mourant de faim, après avoir passé plusieurs nuits dans les bois. Eh ! mon Dieu, monsieur, lui dit le domestique, que vous me faites de pitié ! — D’où me connaissez-vous ? — Oh ! monsieur, je vous ai servi tant de fois chez M. Trudaine ! — Pouvez-vous me recevoir ? — Hélas ! non, monsieur ; car mon maître ne vous aime pas. — Ce n’est donc pas ici chez M. Suard ? — Non, monsieur ; voilà sa porte.

Condorcet entre chez Suard, et le trouve. Suard fait éloigner sa servante, et apprend de Condorcet quelle est sa situation. Il lui fait donner du pain, du fromage et du vin. Condorcet lui raconte les détails que je viens de rassembler. Il lui dit que, dans la retraite où il était caché à Paris, il a fait un Tableau historique des progrès de l’esprit humain, qu’il a confié à des mains sûres, et qu’on pourra publier[1]. Il lui parle avec intérêt de sa fille ; il lui parle aussi de sa femme, mais avec indifférence ; et cependant il lui remet pour elle une somme de 600 livres. Suard n’ose le recueillir ; mais il lui offre d’aller sur-le-champ à Paris, et de tâcher d’obtenir, par l’entremise de Garat, une lettre d’invalide, qui pourra lui tenir lieu de carte civique ; et ils conviennent que Condorcet reviendra le lendemain chercher cette espèce de sauf-conduit. Condorcet lui demande un Horace et du

  1. Publié en 1795, in-8°.