Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec laquelle il lit en moi-même m’a désarçonné. Je ne me demande plus rien, je ne pense plus à rien. J’écoute.

— Ugolin. L’admirable symbole. Oui, mon cher monsieur, je suis, nous sommes Ugolin. C’est-à-dire que nous mangeons nos enfants. Comprenez-vous ? Nous les absorbons. Nous prenons leur vie, leur jeunesse, leur force, que nous intégrons, que nous digérons, que nous transformons en immortalité.

Il s’est levé, les mains posées sur la table, tout son corps penché vers moi. C’est un petit vieux, un tout petit vieux, minable et pitoyable, dont la flamme drue des yeux me terrifie. De quels effluves irrésistibles m’enveloppe-t-il ? Je subis, malgré moi, son autorité, toute la force de persuasion qui émane de son être. Inconcevable pithiatisme ! Toute angoisse s’évade de mon esprit, ne laissant place qu’à une curiosité ardente. J’écoute, j’écoute de toute mon âme exaspérée :

— La Vie ? Qu’est-ce que la Vie ? Pensez-vous qu’elle soit enfermée, simplement, dans les frontières étroites d’un être ? Pensez-vous qu’elle doive se transmettre au hasard, sans méthode, d’un individu à l’autre ? Pourquoi ne serions-nous pas les maîtres de la vie ? Pourquoi ne la captiverions-nous pas, ne la dirigerions-nous pas à notre fantaisie, à notre volonté ? Vivre, vivre, tout est là ! Mais vivre en puissance, en action, en volonté. Vivre avec l’expérience accumulée, fécondée par l’apport incessant de jeunesses nouvelles. Voilà, monsieur, le problème que j’ai longtemps cherché, laborieusement, opiniâtrement, et que j’ai résolu.