Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je hoche la tête. Il y aura de l’ouvrage. Et je risque un mot :

— Ainsi, c’est une véritable révolution que vous rêvez. Vous prétendez vous rendre maître de la vie, éterniser science et expérience dans de vieux corps humains, soumis, périodiquement, à des opérations de renouvellement. Mais les autres, les opérés, que deviennent-ils dans tout ceci ? Pensez-vous avoir le droit de les sacrifier, même à des rêves généreux ? Tout au fond de votre conscience ne monte-t-il pas quelque objection ?

J’ai à peine formulé ces quelques réflexions que je recule épouvanté.

Ugolin vient de bondir comme si quelques douzaines de crotales et de najas le mordaient au talon.

— Ma conscience, clame-t-il, de quel droit vous penchez-vous sur elle ? Croyez-vous que je n’aie pas longtemps lutté avec sa résistance sourde. Malheureux ! Mais regardez donc autour de vous. Regardez vers les hommes ! Étudiez leur sort. Les trois quarts d’entre eux sont courbés sous la loi implacable du travail, jetés dans des ergastules où, durant des heures, privés de soleil, privés d’oxygène, il leur faut besogner, suer, crever à côté de la machine. Et cela jusqu’au bout, jusqu’au jour où, n’en pouvant plus, épuisés, exsangues, tordus par les maux physiques, pourris par l’alcool, il ne leur reste d’autre ressource que le pavé, l’hôpital ou la camisole. Contemplez les autres — les heureux d’ici-bas, — voyez-les se ruer dans les plaisirs qui tuent, se complaire aux vices