Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vers la droite. Je sais qu’elle conduit par un étroit couloir au cabinet où se tient, de préférence, le Maître. C’est de là que nous viendra, dans quelques instants sans doute, la parole de réconfort ou l’abominable certitude. Je n’ose bouger, interroger mes voisins dont la rigidité déconcertante atteste le noir souci qui leur mord le cœur.

Ma pensée vacille. Je me vois, tout enfant, dans une triste maison inconfortable, au fond d’un vieux quartier populeux de Paris. Mon père — je dis mon père et comme ce mot fait en moi une étrange et nostalgique musique — se tuait au labeur pour apporter la pâture et élever trois petites choses insignifiantes. Ma mère, la pauvre femme, recluse volontaire, sevrée de joies, nous distribuait sans logique ni parcimonie, les coups et les caresses. J’ai poussé au petit bonheur, jeté de l’école laïque (comme on disait alors) au lycée, ballotté d’examen en examen. Et le Paris, le pittoresque Paris de mon enfance, surgit soudain, avec ses rues sales, ses maisons lépreuses, ses quartiers ténébreux, ses rumeurs, le bouillonnement des foules sur le pavé, ses milliers de véhicules hallucinants — les uns trépidant, vomissant des appels suraigus, sifflements et rugissements mêlés, tels des monstres antédiluviens, les autres filant, glissant, se dérobant, sinueux et reptiliens — tout cela se heurtant, s’entre-choquant, terrifiant les piétons, éclaboussant les murs et les devantures des boutiques… le Paris étriqué, pléthorique, confus, mangé d’ombre et de crasse, immense tumulus de purulence, abcès crevant en sanies meurtrières, tout le champignonnage vénéneux de ce qu’ils nommaient, nos joyeux ancêtres, la Civilisation…