Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/23

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J’étais minuscule, tout minuscule, lorsqu’un jour j’entendis crier que c’était la guerre. Mon père partit. Il revint avec un poumon perforé et deux côtes brisées. La misère s’installa despotiquement chez nous. Ma mère mourut peu après. Un oncle me recueillit pour me livrer aux pédagogues et à l’ennui morne des salles d’études. Lugubre enfance ! Mais à quoi vais-je donc songer ? Cet individu que j’évoque, dans le désarroi de mes pensées, ne s’est-il pas mué en une série d’individus tout neufs, étrangers au premier et si différents ! Il a fallu que nous éternisions en nous la conscience pour que je me souvienne de cet aïeul qui persiste en moi et qui serait depuis longtemps aboli si nous avions laissé la Vie s’épandre librement.

Mais la porte, la porte… Ah ! voici qu’elle cède sous une poussée lente, silencieusement. La haute silhouette de Néer s’encadre dans le chambranle. Il est livide, le visage contracté, les yeux plissés. Un sourd murmure l’accueille. Il lève l’index :

— Cela va mieux, chuchote-t-il, Ugolin est sauvé, mais…

Il fait quelques pas en avant et promène son regard sur l’assistance :

— Mais il devra se résigner à garder son fauteuil. L’usage des jambes lui est à peu près interdit.

Tous demeurent muets, sauf le professeur Sévart qui interroge :

— Alors ?… rien à faire ?

— Rien, riposte Néer, sèchement.

— Cependant, s’il se renouvelait ?

— Ne s’est-il pas renouvelé, déjà, l’année dernière ?

— Pourquoi ne pas essayer ?

— Vous voudriez donc qu’il recommençât tous les