Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/295

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— Et après ?

Après ? Que veut-elle dire ? Après ? Est-ce que je sais ? Judith absorbe, d’un coup, voluptueusement, une gorgée d’air, sans me quitter du regard. Elle articule :

— Mon pauvre ami… vous voilà redescendu à vos origines. Mais quand vous m’auriez tuée, stupidement, pensez-vous que cela aurait changé votre sort et différé votre condamnation irrévocable ?

J’ai comme une faible plainte. Elle continue :

— Mon ami, cessons de nous regarder ainsi que deux adversaires. Aujourd’hui, nous sommes égaux, en puissance, en moyens d’action. Et c’est pour cela que j’ai décidé de parler. Voyons, tenez-vous vraiment à vivre ainsi, dans l’incertitude, pendant des années et des années sans joie, enseveli dans un linceul d’ennui et — avouez-le donc — de dégoût ?

Je ne réponds point. Que lui dirais-je ? Au fond de moi-même, je cherche à me convaincre qu’elle profère des enfantillages. Cette crise passera. Mais que nous réserve la Femme en possession du secret ?

Sa voix, très grave et mouillée de douceur, me parvient à nouveau. Elle tombe sur mon cœur comme des gouttes d’eau froide.

— Vous êtes des malheureux. Aucun bonheur véritable ne vous est permis. Car le bonheur ne se décrète pas. Tous vos fabricants de bonheur ne sont que des criminels ; leurs tentatives de fous ne font que souder plus étroitement les chaînes de la fatalité. Avec Dieu ou sans Dieu, le Monde — Conscient ou Vide — obéit à une loi qu’on ne transgresse point sans que le châti-