Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/296

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ment n’intervienne ! Écoutez-moi bien ? Ce que vous appelez la vie, votre vie, faite d’une longue suite de plaquages fragiles, n’est qu’un aspect de la mort. Au fond, vous, les Éternels, vous me paraissez des fantômes ; vous êtes vos propres survivants… oui, c’est bien cela, des morts qui se verraient vivre… Tristes épaves !

Son accent est empreint d’une solennité qui m’amollit peu à peu. Je suis maté. Je voulais la tuer, voici un instant. J’ai presque envie de m’aplatir à ses pieds. Il est si vrai qu’elle a touché juste, mis le doigt sur la plaie qui me ronge. Elle appuie avec quelque cruauté ; elle avive ma souffrance et, en même temps, me verse je ne sais quel baume rafraîchissant et délicieux.

Elle parle encore et l’on dirait qu’elle parle pour elle plus que pour moi :

— Jadis, en dépit de ce que vous appelez la barbarie, les hommes se réservaient des félicités à jamais envolées. J’ai parcouru vos livres d’autrefois, ceux que vous gardez jalousement pour vous et que vous cachez au cheptel des neutrides, vos vieux romans où l’amour est mis à toutes les sauces, vos pièces de théâtre dont l’adultère et le cocufiage étaient l’aliment principal, vos prétentieuses études de psychologie, et vos journaux, surtout vos journaux, sont le reflet de l’époque. Qu’avez-vous fait de tout cela qui n’était pas sans charmes ? Dites-moi, vous qui fûtes journaliste, ce qu’on a fait du journal ?

J’avale un soupir. Ce n’est que trop réel, hélas ! Il n’y a plus de journal, plus de littérature, plus de théâtre. Le fait-divers ayant disparu, et la politique,