Page:Mérimée - Carmen.djvu/150

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et une maîtresse ; survint un duel éclatant dont une artiste du Gymnase fut la cause peu innocente. Le mariage, que madame Aubrée n’avait jamais eu bien sérieusement en vue, fut déclaré impossible. Alors se présenta M. de Piennes, gentilhomme grave et moral, riche d’ailleurs et de bonne maison. J’ai peu de chose à vous en dire, si ce n’est qu’il avait la réputation d’un galant homme et qu’il la méritait. Il parlait peu ; mais lorsqu’il ouvrait la bouche, c’était pour dire quelque grande vérité incontestable. Sur les questions douteuses, « il imitait de Conrart le silence prudent. » S’il n’ajoutait pas un grand charme aux réunions où il se trouvait, il n’était déplacé nulle part. On l’aimait assez partout, à cause de sa femme, mais lorsqu’il était absent, — dans ses terres, comme c’était le cas neuf mois de l’année, et notamment au moment où commence mon histoire, — personne ne s’en apercevait. Sa femme elle-même ne s’en apercevait guère davantage.

Madame de Piennes, ayant achevé sa toilette en cinq minutes, sortit de sa chambre un peu émue, car l’arrivée de Max de Salligny lui rappelait la mort récente de la personne qu’elle avait le mieux aimée ; c’est, je crois, le seul souvenir qui se fût présenté à sa mémoire, et ce souvenir était assez vif pour arrêter toutes les conjec-