Page:Mérimée - Carmen.djvu/169

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tement stupide, que madame de Piennes prit pour du calme. Elle continua ses exhortations ; mais Arsène, immobile, n’écoutait pas toutes les belles et bonnes raisons qu’on lui donnait pour préférer l’amour divin à l’amour terrestre ; ses yeux étaient secs, ses dents serrées convulsivement. Pendant que sa protectrice lui parlait du ciel et de l’avenir, elle songeait au présent. L’arrivée subite de Max avait réveillé en un instant chez elle de folles illusions, mais le regard de madame de Piennes les avait dissipées encore plus vite. Après un rêve heureux d’une minute, Arsène ne retrouvait plus que la triste réalité, devenue cent fois plus horrible pour avoir été un moment oubliée.

Votre médecin vous dira, madame, que les naufragés, surpris par le sommeil au milieu des angoisses de la faim, rêvent qu’ils sont à table et font bonne chère. Ils se réveillent encore plus affamés, et voudraient n’avoir pas dormi. Arsène souffrait une torture comparable à celle de ces naufragés. Autrefois elle avait aimé Max, comme elle pouvait aimer. C’était avec lui qu’elle aurait voulu toujours aller au spectacle, c’est avec lui qu’elle s’amusait dans une partie de campagne, c’est de lui qu’elle parlait sans cesse à ses amies. Lorsque Max partit, elle avait beaucoup pleuré ; mais cependant elle avait agréé