Page:Mérimée - Carmen.djvu/224

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messieurs qui voulaient faire parler les leurs, et qui ne disaient que des bêtises. — Lorsque j’ai reconnu l’état du malade, la malignité de ma nature, je te l’avouerai, s’en est presque réjouie d’abord. Une conquête à mon âge, une conquête innocente comme celle-là !… C’est quelque chose que d’exciter une telle passion, un amour impossible !… Fi donc ! ce vilain sentiment m’a passé bien vite. — Voilà un galant homme, me suis-je dit, dont mon étourderie ferait le malheur. C’est horrible, il faut absolument que cela finisse. Je cherchais dans ma tête comment je pourrais l’éloigner. Un jour, nous nous promenions sur la grève, à marée basse. Il n’osait me dire un mot, et moi j’étais embarrassée aussi. Il y avait de mortels silences de cinq minutes, pendant lesquels, pour me faire contenance, je ramassais des coquilles. Enfin, je lui dis : « Mon cher abbé, il faut absolument qu’on vous donne une meilleure cure que celle-ci. J’écrirai à mon oncle l’évêque ; j’irai le voir, s’il le faut. — Quitter Noirmoutiers ! s’écria-t-il en joignant les mains ; mais j’y suis si heureux ! Que puis-je désirer depuis que vous êtes ici ? Vous m’avez comblé, et mon petit presbytère est devenu un palais. — Non, repris-je, mon oncle est bien vieux ; si j’avais le malheur de le perdre, je ne saurais à qui m’adresser pour vous faire