Page:Mérimée - Carmen.djvu/295

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de vraie joie. Les femmes… ah ! que tu vaux mieux qu’elles, toi qui n’as besoin ni de leurs riches parures ni de leurs perles ni de leurs colliers. Tu ne me tromperas pas, mon amie… Si jamais !… Mon seul désir c’est de partager avec toi, amour, paix, exil volontaire.

LE VIEILLARD.

Tu nous aimes toi, bien que né parmi les riches ; mais celui-là ne s’habitue pas facilement à la liberté, qui a connu les délices du luxe. Chez nous, on conte cette histoire. Un jour, dans ce pays, vint un homme du sud, exilé par un roi. Autrefois j’ai su son nom bizarre, mais je l’ai oublié. Vieux d’années il était jeune de cœur, ardent pour le bien. Il avait le don divin des chansons et sa voix était comme le bruit des eaux. Tous l’aimaient. Il vivait aux bords du Danube, ne faisant de mal à personne, charmant jeunes et vieux par ses récits. Il ne s’entendait à rien, timide et faible comme un enfant. Il fallait que des étrangers lui apportassent gibier et poissons pris dans leurs filets ; et quand le fleuve rapide se couvrait de glaces, quand soufflaient les rudes autans, ils préparaient au saint vieillard une couche moelleuse avec de chaudes toisons. Mais, lui, jamais il ne s’accoutuma à cette vie de misère. Il était pâle, desséché. La colère d’un Dieu,