Page:Mérimée - Carmen.djvu/335

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Il a déclaré qu’il allait les établir dans un gouvernement éloigné que l’on colonise. À ce sujet, grands débats dans la ville entre les amis de Tchitchikof. Les uns, craignant que les paysans ne s’échappent ou ne se révoltent en route, offrent au propriétaire de lui donner une escorte. D’autres disputent à perte de vue sur les influences qu’exercera le changement de climat sur la colonie projetée. — Le Russe s’accommode de tous les climats, dit un des notables. — Non, il lui faut des rivières, répond un autre. — La colonie réussira. — Elle ne réussira pas.

Cependant la considération dont jouit Tchitchikof s’est fort augmentée. Un homme qui, dans une semaine, achète mille âmes doit être un bon parti. Déjà les demoiselles à marier se tiennent droites quand il passe, les mamans lui font des avances. On lui trouve de l’esprit et un grand air. Il va jeter le mouchoir, lorsque, dans un bal, un maudit étourdi à moitié ivre lui demande tout haut pourquoi il achète des âmes mortes. Ce mot se répand dans le salon. Personne ne s’explique trop ce qu’il peut y avoir de mal à cela, mais tout le monde est scandalisé. Tchitchikof, dont l’assurance et la popularité ont disparu tout d’un coup, s’esquive, et le roman finit. Je me trompe, l’auteur, dans un dernier chapitre, nous dit