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Page:Mérimée - Carmen.djvu/337

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l’intérêt d’un voyage dans un monde inconnu. Aujourd’hui, malheureusement, après tant de révolutions qui ont décomposé et recomposé la société, il n’y a personne, du moins dans notre pauvre pays, qui ne soit blasé sur les coquins et qui n’ait le regret d’en avoir trop vu et connu. Les gentillesses des escrocs ont perdu beaucoup de leur mérite ; d’ailleurs il en est d’eux comme des bandits : la Gazette des Tribunaux a trop d’avantages sur les romanciers. Outre ce que le sujet a de repoussant, le roman de M. Gogol a le défaut capital de pécher fortement contre la vraisemblance. On me dira, je le sais, que l’auteur n’a pas inventé son Tchitchikof, qu’il s’est fait en Russie des spéculations sur les âmes mortes, il y a peu d’années, avec tant de succès, que des mesures législatives ont été prises pour éviter le renouvellement de pareille friponnerie ; mais ce n’est pas la spéculation elle-même qui me paraît invraisemblable, c’est la façon dont elle est conduite. Un marché de cette espèce n’a jamais pu avoir lieu qu’entre filous, et M. Gogol le rend impossible en mettant son héros en rapport avec des provinciaux niais seulement. Quelle opinion peut-on avoir d’un homme qui demande à acheter des âmes mortes ? Qu’il est fou, ou bien qu’il médite une escroquerie. On a beau être provincial, on ne peut