Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/149

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— Nous ne vous quitterons pas ! s’écrièrent les deux femmes.

— Si vous ne pouvez marcher, dit Brandolaccio, il faudra que je vous porte. Allons, mon lieutenant, un peu de courage ; nous aurons le temps de décamper par le ravin, là derrière. M. le curé va leur donner de l’occupation.

— Non, laissez-moi, dit Orso en se couchant à terre. Au nom de Dieu, Colomba, emmène miss Nevil !

— Vous êtes forte, mademoiselle Colomba, dit Brandolaccio ; empoignez-le par les épaules, moi je tiens les pieds ; bon ! en avant, marche !

Ils commencèrent à le porter rapidement, malgré ses protestations ; miss Lydia les suivait, horriblement effrayée, lorsqu’un coup de fusil se fit entendre, auquel cinq ou six autres répondirent aussitôt. Miss Lydia poussa un cri, Brandolaccio une imprécation, mais il redoubla de vitesse, et Colomba, à son exemple, courait au travers du mâquis, sans faire attention aux branches qui lui fouettaient la figure ou qui déchiraient sa robe : — Baissez-vous, baissez-vous, ma chère, disait-elle à sa compagne, une balle peut vous attraper. On marcha ou plutôt on courut environ cinq cents pas de la sorte, lorsque Brandolaccio déclara qu’il n’en pouvait plus, et se laissa tomber à terre, malgré les exhortations et les reproches de Colomba.

— Où est miss Nevil ? demandait Orso.

Miss Nevil, effrayée par les coups de fusil, arrêtée à chaque instant par l’épaisseur du mâquis, avait bientôt perdu la trace des fugitifs, et était demeurée seule en proie aux plus vives angoisses.

— Elle est restée en arrière, dit Brandolaccio, mais elle n’est pas perdue ; les femmes se retrouvent toujours. Écoutez donc, Ors’ Anton’, comme le curé fait du tapage avec votre fusil. Malheureusement on n’y voit goutte, et l’on ne se fait pas grand mal à se tirailler de nuit.