Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/212

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fit sa prière à voix basse ; et, bien qu’il demeurât un temps convenable dans cette pieuse occupation, il trouva, lorsqu’il releva la tête, que son camarade paraissait encore plongé dans une extase dévote : il remuait doucement les lèvres ; on eût dit qu’il n’était pas à la moitié de ses méditations. Un peu honteux d’avoir sitôt fini, il se mit à réciter tout bas les litanies qui lui revinrent en mémoire. Les litanies dépêchées, don Garcia ne bougeait pas davantage. Don Juan expédia encore avec distraction quelques menus suffrages ; puis, voyant son camarade toujours immobile, il crut pouvoir regarder un peu autour de lui pour passer le temps et attendre la fin de cette éternelle oraison. Trois femmes, agenouillées sur des tapis de Turquie, attirèrent son attention tout d’abord. L’une, à son âge, à ses lunettes et à l’ampleur vénérable de ses coiffes, ne pouvait être autre qu’une duègne. Les deux autres étaient jeunes et jolies, et ne tenaient pas leurs yeux tellement baissés sur leurs chapelets qu’on ne pût voir qu’ils étaient grands, vifs et bien fendus. Don Juan éprouva beaucoup de plaisir à regarder l’une d’elles, plus de plaisir même qu’il n’aurait dû en avoir dans un saint lieu. Oubliant la prière de son camarade, il le tira par la manche et lui demanda tout bas quelle était cette demoiselle qui tenait un chapelet d’ambre jaune.

— C’est, répondit Garcia sans paraître scandalisé de son interruption, c’est doña Teresa de Ojeda ; et celle-ci, c’est doña Fausta, sa sœur aînée, toutes les deux filles d’un auditeur au conseil de Castille. Je suis amoureux de l’aînée ; tâchez de le devenir de la cadette. Tenez, ajouta-t-il, elles se lèvent et vont sortir de l’église ; hâtons-nous, afin de les voir monter en voiture ; peut-être que le vent soulèvera leurs basquines, et que nous apercevrons une jolie jambe ou deux.

Don Juan était tellement ému par la beauté de doña Teresa que, sans faire attention à l’indécence de ce lan-