Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/234

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— Quoi ! c’est vous, seigneur don Juan ? s’écria-t-elle. Est-ce que don Garcia est malade ?

— Malade ? Non, dit don Juan… Mais il ne peut venir. Il m’a envoyé auprès de vous.

— Oh ! que j’en suis fâchée ! Mais, dites-moi, ce n’est pas une autre femme qui l’empêche de venir ?

— Vous le savez donc bien libertin ?…

— Que ma sœur va être contente de vous voir ! La pauvre enfant ! elle croyait que vous ne viendriez pas… Laissez-moi passer, je vais l’avertir.

— C’est inutile.

— Votre air est singulier, don Juan… Vous avez une mauvaise nouvelle à m’apprendre… Parlez, il est arrivé quelque malheur à don Garcia ?

Pour s’épargner une réponse embarrassante, don Juan tendit à la pauvre fille l’infâme billet de don Garcia. Elle lut avec précipitation et ne le comprit pas d’abord. Elle le relut, et n’en put croire ses yeux. Don Juan l’observait avec attention, et la voyait tour à tour s’essuyer le font, se frotter les yeux ; ses lèvres tremblaient, une pâleur mortelle couvrait son visage, et elle était obligée de tenir à deux mains le papier pour qu’il ne tombât pas à terre. Enfin, se levant par un effort désespéré, elle s’écria : Tout cela est faux ! c’est une horrible fausseté ! Don Garcia n’a jamais écrit cela !

Don Juan répondit : — Vous connaissez son écriture. Il ne savait pas le prix du trésor qu’il possédait… et moi j’ai accepté, parce que je vous adore.

Elle jeta sur lui un regard du plus profond mépris, et se mit à relire la lettre avec l’attention d’un avocat qui soupçonne une falsification dans un acte. Ses yeux étaient démesurément ouverts et fixés sur le papier. De temps en temps une grosse larme s’en échappait sans qu’elle clignât la paupière, et tombait en glissant sur ses joues. Tout à coup elle sourit d’un sourire de fou, et s’écria : C’est une