Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/235

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plaisanterie, n’est-ce pas ? C’est une plaisanterie ? don Garcia est là, il va venir !…

— Ce n’est point une plaisanterie, doña Fausta, il n’y a rien de plus vrai que l’amour que j’ai pour vous. Je serais bien malheureux si vous ne me croyiez pas.

— Misérable ! s’écria doña Fausta ; mais si tu dis vrai, tu es un plus grand scélérat encore que don Garcia.

— L’amour excuse tout, belle Faustita. Don Garcia vous abandonne ; prenez-moi pour vous consoler. Je vois peints sur ce panneau Bacchus et Ariane ; laissez-moi être votre Bacchus.

Sans répondre un mot, elle saisit un couteau sur la table, et s’avança vers don Juan en le tenant élevé au-dessus de sa tête. Mais il avait vu le mouvement ; il lui saisit le bras, la désarma sans peine et, se croyant autorisé à la punir de ce commencement d’hostilités, il l’embrassa trois ou quatre fois, et voulut l’entraîner vers un petit lit de repos. Doña Fausta était une femme faible et délicate ; mais la colère lui donnait des forces, elle résistait à don Juan, tantôt se cramponnant aux meubles, tantôt se défendant des mains, des pieds et des dents. D’abord don Juan avait reçu quelques coups en souriant, mais bientôt la colère fut chez lui aussi forte que l’amour. Il étreignit fortement Fausta sans craindre de froisser sa peau délicate. C’était un lutteur irrité qui voulait à tout prix triompher de son adversaire, prêt à l’étouffer, s’il fallait, pour le vaincre. Fausta eut alors recours à la dernière ressource qui lui restait. Jusque-là un sentiment de pudeur féminine l’avait empêchée d’appeler à son aide ; mais se voyant sur le point d’être vaincue, elle fit retentir la maison de ses cris.

Don Juan sentit qu’il ne s’agissait plus pour lui de posséder sa victime, et qu’il devait avant tout songer à sa sûreté. Il voulut repousser Fausta et gagner la porte, mais elle s’attachait à ses habits, et il ne pouvait s’en débar-