Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/238

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Minerve, et essayez un peu de Mars ; cela vous réussira mieux, car vous avez des dispositions. On se bat en Flandre. Allons tuer des hérétiques ; rien n’est plus propre à racheter nos peccadilles en ce monde. Amen ! Je finis comme au sermon.

Le mot de Flandre opéra comme un talisman sur don Juan. Quitter l’Espagne, il croyait que c’était s’échapper à lui-même. Au milieu des fatigues et des dangers de la guerre, il n’aurait pas de loisir pour ses remords ! — En Flandre, en Flandre ! s’écria-t-il ; allons nous faire tuer en Flandre !

— De Salamanque à Bruxelles, il y a loin, reprit gravement don Garcia, et dans votre position vous ne pouvez partir trop tôt. Songez que si M. le corrégidor vous attrape, il vous sera bien difficile de faire une campagne ailleurs que sur les galères de Sa Majesté.

Après s’être concerté quelques instants avec son ami, don Juan se dépouilla promptement de son habit d’étudiant. Il prit une veste de cuir brodé telle qu’en portaient alors les militaires, un grand chapeau rabattu, et n’oublia pas de garnir sa ceinture d’autant de doublons que don Garcia put la charger. Tous ces apprêts ne durèrent que quelques minutes. Il se mit en route à pied, sortit de la ville sans être reconnu, et marcha toute la nuit et toute la matinée suivante, jusqu’à ce que la chaleur du soleil l’obligeât à s’arrêter. À la première ville où il arriva, il s’acheta un cheval, et s’étant joint à une caravane de voyageurs, il parvint sans obstacle à Saragosse. Là il demeura quelques jours sous le nom de don Juan Carrasco. Don Garcia, qui avait quitté Salamanque le lendemain de son départ, prit un autre chemin et le rejoignit à Saragosse. Ils n’y firent pas un long séjour. Après avoir accompli fort à la hâte leurs dévotions à Notre-Dame-du-Pilier, non sans lorgner les beautés aragonaises, pourvus chacun d’un bon domestique, ils se