Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/240

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femme, tous les moyens leur étaient bons pour l’obtenir. Promesses, serments n’étaient qu’un jeu pour ces indignes libertins ; et si des frères ou des maris trouvaient à redire à leur conduite, ils avaient pour leur répondre de bonnes épées et des cœurs impitoyables.

La guerre recommença avec le printemps.

Dans une escarmouche qui fut malheureuse pour les Espagnols, le capitaine Gomare fut mortellement blessé. Don Juan, qui le vit tomber, accourut auprès de lui et appela quelques soldats pour l’emporter ; mais le brave capitaine, rassemblant ce qui lui restait de forces, lui dit : — Laissez-moi mourir ici, je sens que c’est fait de moi. Autant vaut mourir ici qu’une demi-lieu plus loin. Gardez vos soldats, ils vont être assez occupés, car je vois les Hollandais qui s’avancent en force. — Enfants, ajouta-t-il en s’adressant aux soldats qui s’empressaient autour de lui, serrez-vous autour de vos enseignes et ne vous inquiétez pas de moi.

Don Garcia survint en ce moment, et lui demanda s’il n’avait pas quelque dernière volonté qui pût être exécutée après sa mort.

— Que diable voulez-vous que je veuille dans un moment comme celui-ci ?… Il parut se recueillir quelques instants. Je n’ai jamais beaucoup songé à la mort, reprit-il, et je ne la croyais pas si prochaine… Je ne serais pas fâché d’avoir auprès de moi quelque prêtre… Mais tous nos moines sont aux bagages… Il est dur pourtant de mourir sans confession !

— Voici mon livre d’heures, dit don Garcia en lui présentant un flacon de vin. Prenez courage.

Les yeux du vieux soldat devenaient de plus en plus troubles. La plaisanterie de don Garcia ne fut pas remarquée par lui, mais les vieux soldats qui l’entouraient en furent scandalisés.

— Don Juan, dit le moribond, approchez, mon enfant.