Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/395

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plaisir ; et, pour vous faire plaisir, je passerais au travers du feu.

La comtesse. Charmant jeune homme !

Édouard. Une conspiration !… cela doit être divertissant. Moi, les conspirations, c’est mon fort. J’ai été chassé du lycée parce que j’étais à la tête d’une conspiration pour rosser un de nos maîtres de quartier ; c’est pour cela que je suis un ignorant. On m’a campé dans une école militaire ; puis on m’a mis une épaulette sur l’épaule, un sabre au côté, et en avant la théorie !

La comtesse. Je gage que ce maître de quartier était quelque jacobin qui voulait abuser de son autorité pour opprimer un jeune gentilhomme.

Édouard. Il s’appelait Ragoulard.

La comtesse. Oh ! quel nom jacobin ! — Allons, mon ami, vous êtes des nôtres ?

Édouard. En vérité, cousine… je ne sais si c’est votre bon vin et la fatigue de la route… ou bien si ce sont vos beaux yeux, ce qui est bien plus probable… mais je me sens tout près de dire et de faire des bêtises… Je ne puis mettre deux idées l’une devant l’autre… D’honneur, vous m’avez ensorcelé !

La comtesse. Dites, Édouard, que j’ai rallumé dans votre cœur les sentiments d’amour pour nos rois ; ils sont aussi naturels que la bravoure et la beauté à ceux de notre race.

Édouard. Eh bien ! oui, c’est décidé, je m’en bats l’œil… j’aurai de l’amour pour nos rois… surtout pour vous, cousine… Ma foi, le mot m’est échappé… mais j’ai dit ce que je pense… tant pis si cela vous fâche.

La comtesse. Vous êtes un étrange enfant, Édouard ; mais le naturel est bon, je veux vous convertir.

Édouard. Ah ! c’est ce que me disait cette chanoinesse bavaroise que… (À part.) Qu’est-ce que j’allais donc dire !