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III.

Madrid, novembre 1830.
Monsieur,

Me voici de retour à Madrid, après avoir parcouru pendant plusieurs mois, et dans tous les sens, l’Andalousie, cette terre classique des voleurs, sans en rencontrer un seul. J’en suis presque honteux. Je m’étais arrangé pour une attaque de voleurs, non pas pour me défendre, mais pour causer avec eux et les questionner bien poliment sur leur genre de vie. En regardant mon habit usé aux coudes et mon mince bagage, je regrette d’avoir manqué ces messieurs. Le plaisir de les voir n’était pas payé trop cher par la perte d’un léger porte-manteau.

Mais si je n’ai pas vu de voleurs, en revanche je n’ai pas entendu parler d’autre chose. Les postillons, les aubergistes vous racontent des histoires lamentables de voyageurs assassinés, de femmes enlevées, à chaque halte que l’on fait pour changer de mules. L’événement qu’on raconte s’est toujours passé la veille et sur la partie de la route que vous allez parcourir. Le voyageur qui ne connaît point encore l’Espagne, et qui n’a point eu le temps d’acquérir la sublime insouciance castillane, la flema castellana, quelque incrédule qu’il soit d’ailleurs, ne laisse pas de recevoir une certaine impression de tous ces récits. Le jour tombe, et avec beaucoup plus de rapidité que dans nos climats du nord ; ici le crépuscule ne