Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dure qu’un moment : survient alors, surtout dans le voisinage des montagnes, un vent qui serait sans doute chaud à Paris, mais qui, par la comparaison que l’on en fait avec la chaleur brûlante du jour, vous paraît froid et désagréable. Pendant que vous vous enveloppez dans votre manteau, que vous enfoncez sur vos yeux votre bonnet de voyage, vous remarquez que les hommes de votre escorte (escopeteros) jettent l’amorce de leurs fusils sans la renouveler. Étonné de cette singulière manœuvre, vous en demandez la raison, et les braves qui vous accompagnent répondent, du haut de l’impériale où ils sont perchés, qu’ils ont bien tout le courage possible, mais qu’ils ne peuvent pas résister seuls à toute une bande de voleurs. « Si l’on est attaqué, nous n’aurons de quartier qu’en prouvant que nous n’avons jamais eu l’intention de nous défendre. »

Alors, à quoi bon s’embarrasser de ces hommes et de leurs inutiles fusils ? — Oh ! ils sont excellents contre les rateros, c’est-à-dire les amateurs brigands qui détroussent les voyageurs quand l’occasion se présente ; on ne les rencontre jamais qu’au nombre de deux ou de trois.

Le voyageur se repent alors d’avoir pris tant d’argent sur lui. Il regarde l’heure à sa montre de Breguet, qu’il croit consulter pour la dernière fois. Il serait bien heureux de la savoir tranquillement pendue à sa cheminée de Paris. Il demande au mayoral (conducteur) si les voleurs prennent les habits des voyageurs.

— « Quelquefois, monsieur. Le mois passé, la diligence de Séville a été arrêtée auprès de la Carlota, et tous les voyageurs sont entrés a Ecija comme de petits anges. »

— « De petits anges ! Que voulez-vous dire ? »

— « Je veux dire que les bandits leur avaient pris tous leurs habits, et ne leur avaient pas même laissé la chemise. »

— « Diable ! » s’écrie le voyageur en boutonnant sa