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Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/168

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Don Pablo. Avec vos folies, vous feriez jurer les Saints de pierre de vos églises. Voyons, pour la dernière fois, laissez-moi vous dire comment je vous aime.

Doña Urraca. Non, revenez demain.

Don Pablo. Et demain je suis de garde, Dieu me damne !

Doña Urraca. Mon cher Pablo, si vous ne pouvez vous empêcher de jurer, jurez au moins d’une autre manière. Qu’est-ce que cela vous coûterait de dire « Maudit soit Satan ! » par exemple, ou bien : « Nom d’une pipe ! » comme beaucoup de militaires le disent quand ils sont en colère ?

Don Pablo. Adieu !

Doña Urraca. Adieu, mon âme !

Don Pablo. Urraca ?

Doña Urraca. Qu’est-ce ? qu’avez-vous à rire ?

Don Pablo. Ne venez-vous pas de m’appeler votre âme ?

Doña Urraca. Oui, pourquoi, cher ?…

Don Pablo. C’est aujourd’hui le mercredi des Cendres.

Doña Urraca. Méchant ! pouvez-vous plaisanter sur des choses pareilles ! — Je ne vous parlais pas avec une affection mondaine.

Don Pablo. Eh bien ! pour adieu donnez-moi un baiser tout céleste, et tel que les chérubins…

Doña Urraca l’embrassant. Ne blasphème pas !

Don Pablo. Adieu, ma belle amie. À vendredi matin.

Doña Urraca. Vendredi ?… mais c’est…

Don Pablo. Eh ! corps du Christ 1 ! c’est le jour de Vénus ; À vendredi. Adieu.

Il sort.

Doña Urraca seule. Quel dommage qu’un si bel homme, et un si bon cœur, soit athée comme un païen ! Pourtant, il faudra bien qu’il se convertisse un jour ou l’autre. Ce serait conscience de laisser au diable une âme comme celle-là. (Une pendule sonne.) Quatre heures. Ah ! c’est le moment que Fray Bartolomé va venir me faire sa visite et me donner ses saints conseils. Il faut que je lui prépare les conserves de roses et le marasquin. (Elle ouvre une armoire et en tire des confitures.) Et puis je m’en vais lire un chapitre du Kempis qu’il m’a donné… J’en ai besoin… ce Pablo m’a toute troublée… Où est-il ?… Ah ! par quel hasard a-t-on laissé