Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/22

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Lannes étaient à côté de Bonaparte, et ils faisaient mentalement vingt conjectures sur le silence méditatif que gardait le jeune général, après le récit de Lamanon.

Tout à coup Junot entra et dit :

– Général mes hommes d’avant-garde sont prêts. À la première étoile levée, nous serons ce soir sur la route de Jaffa.

Bonaparte fit un mouvement brusque, et étendit sa main droite, comme s’il eût voulu arrêter cette avant-garde :

— Junot, dit-il, vous ne partirez pas.

Un murmure d’étonnement courut dans la tente.

— Cela vous surprend, mes amis, ajouta Bonaparte ; on change d’avis quelquefois à la guerre. Nous ne partons pas.

Murat, bondit de joie et s’écria :

— Très-bien, Bonaparte ! voila une idée superbe ! Moi, l’autre jour, j’ai failli, tout seul, prendre Saint-Jean-d’Acre : nous sommes quinze mille, nous le prendrons.

— Je l’espère bien, ajouta Bonaparte avec un sourire sérieux, — c’est pourquoi nous ne partons pas.

Puis montrant l’ouest :

— Nos affaires ne sont plus de ce côté, le destin nous pousse vers d’autres pays. Notre flotte a été anéantie à Aboukir. Mustapha-Pacha est arrive de Constantinople avec une armée toute fraîche, et il fait sa jonction avec Mourad-Bey, que Desaix ne peut arrêter longtemps dans la haute Égypte ; le chemin de France est fermé ; Nelson tient la mer ; le commodore Sidney-Smith lui sert d’éclaireur. On nous a brûlé nos vaisseaux. Alexandre le Grand et Fernand Cortès avaient brûlé eux-mêmes les leurs. Aussi, l’un a été forcé de