Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/23

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vaincre Porus et de prendre Lahore ; l’autre a vaincu Montezuma et pris Mexico. Les flottes sont un obstacle aux grandes conquêtes ; elles vous enchaînent sur un littoral. Nos pieds sont libres. Nous n’avons pas à trouver, comme les Athéniens de Thémistocle, notre salut dans des murailles de bois. Prenons Saint-Jean-d’Acre, et cherchons ensuite les traces d’Alexandre ; elles sont imprimées au désert. Je vous l’ai dit en vous montrant la Tour-Maudite, le sort du monde est dans cette tour ! l’Orient appelle l’Occident, le souverain du Mysore, Hyder-Ali, les Mahrattes, les peuples du Décan appellent la France, depuis la prise de Pondichéry par les Anglais en 1761, Typpoo-Saïb, fils d’Hyder-Ali, a continué son père et formé les mêmes vœux. Allons visiter le berceau du soleil, nous rentrerons en France quand les avocats du Directoire ne parleront plus.

Un enthousiasme inouï éclata parmi les jeunes lieutenants de Bonaparte ; leurs mains héroïques se crispèrent sur les pommeaux des sabres ; leurs regards lancèrent des flammes vers l’Orient promis. Junot s’écria :

— C’est maintenant qu’il nous faut mon escadron de dromadaires que j’ai essayé à la bataille du Mont-Thabor ; il y a des dromadaires de remonte, dans les environs, je remplirai les vides, et je vous demande, général, d’être maintenu dans mon commandement.

Le sage Berthier garda seul une attitude froide, qui n’échappa point à l’œil pénétrant de Bonaparte.

Mon cher Berthier, lui dit-il avec une douceur charmante, je crois deviner votre pensée : vous en êtes aux calculs. Je vois des lignes de mathématique sur votre front. Eh bien !