Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/25

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combler. Lorsque les rafales du sud chassaient vers la mer l’épaisse fumée de l’artillerie on apercevait l’intérieur de la ville et le parvis de la grande mosquée tout inondés de femmes et d’enfants. Au même instant, les tambours et les clairons sonnèrent la charge, Murat, Kléber, Lannes, Junot, Eugène Beauharnais se mirent à la tête des colonnes d’assaut ; le simoun semblait emporter nos soldats sur ses ailes de flamme ; l’écluse était enfin rompue ; un flot vivant escaladait une colline de ruines ; il éteignait tous les feux : il déracinait les obstacles il faisait tomber les armes des mains des plus forts. Ainsi, la vieille cité fut envahie en quelques heures, et Bonaparte tenait enfin cette clef d’Orient, si longtemps disputée par une sorte de pouvoir infernal.

Bonaparte s’installe dans le palais de Djezzar, dont les terrasses dominent le port et la mer. On voyait de là les deux vaisseaux de Sidney-Smith gagnant le large à toutes voiles, pour éviter le feu de nos artilleurs, déjà postés aux batteries des forts.

Djezzar-Pacha s’était fait tuer sur la brèche ; Phélippeaux et quelques autres renégats avaient disparu. Les habitants, rassurés par une proclamation de Bonaparte, se montrèrent hospitaliers envers les vainqueurs. Les musulmans, qui après un si long siége, s’attendaient à subir toutes les horreurs destinées aux villes prises d’assaut, bénirent le jeune général chrétien qui ordonnait le respect des mosquées et des harems, et protégeait leurs maisons et leurs femmes. Le bruit d’une générosité si magnanime ne devait pas expirer dans l’enceinte de Saint-Jean-d’Acre ; il devait s’étendre partout et préparer des résultats favorables à l’expédition.