Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/26

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Bonaparte avait en ce moment sous les yeux les deux vénérables tours d’un palais beaucoup plus ancien que celui de Djezzar, et les désignant du doigt à ses lieutenants, il leur dit :

— Louis IX nous a précédés ici ; voilà le palais que le héros de Damiette et de Mansourah a habité, il y a cinq cent-cinquante ans environ. C’est là qu’il attendait un vaisseau pour rentrer en France, après sa première captivité. Quelle glorieuse histoire, la nôtre ! Louis IX avait aussi rêvé la conquête de l’Orient. Depuis l’an 1095, où la première croisade fut prêchée à Clermont en Auvergne par le pape Urbain VI, jusqu’en 1270, six fois les efforts de la France se sont tournés sur l’Orient. Le temps est venu de récolter la moisson semée par nos anciens et arrosée de leur sang. Joinville raconte que le soudan accorda à Louis IX la permission de faire un pèlerinage de Saint-Jean-d’Acre à Jérusalem. Nous ferons le nôtre aussi, et tant pis pour les enfants de Voltaire qui nous blâmeront ! Un Bonaparte, mon aïeul, s’est courageusement battu pour le pape Clément VII, pendant le siége de Rome ; il ne sera pas dit que son petit-fils passe en Terre-Sainte sans visiter Jérusalem. Nous commencerons notre voyage par là ; ce sera notre première étape. Après, l’étoile des Mages sera la nôtre, elle nous conduira sur la grande route de l’Orient. Je crois à mon étoile plus que jamais[1].

Les jeunes lieutenants de Bonaparte ne pénétraient pas profondément la vaste pensée orientale de leur chef, mais ils l’auraient suivi au bout du monde, sans s’inquiéter du but,

  1. Vidimus enim stellam ejus in oriente. (Évangile de l’Épiphanie.)