Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/33

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dicte à Berthier avait pour épigraphe ce verset, de la Bible : Super flumina Babylonis… sedimus.

À la veillée, Bonaparte, Murat, Junot, Desaix et Denon étaient assis sous la même tente, ouverte aux brises de l’Euphrate, et Murat, obéissant à un signe de Junot, secoua sa belle chevelure comme un lion sa crinière, et dit à Bonaparte :

— Général, nous traversons, depuis longtemps, des pays où l’on s’est beaucoup battu, et nous n’y trouvons rien pour nous. Notre armée est une simple caravane ; nous ne sommes plus des soldats, mais des voyageurs. Que sont devenus les fils de ces pères qui se battaient si bien ici ?

— Mon cher Murat, dit Bonaparte, prenez patience ; vos armes de Damas vous serviront. Les voyageurs redeviendront soldats.

— C’est qu’il est cruel, dit Junot, de suivre les traces d’Alexandre et de ne pas trouver l’ombre d’un Darius. Quand on m’a annoncé Arbelles, j’ai mis la main sur la poignée de mon sabre, car il semble impossible de traverser Arbelles sans exécuter une charge de cavalerie, au moins.

— Mes amis, dit Bonaparte, nous avons suivi depuis Damas, Alexandre le Grand, mais nous ne sommes pas arrivés à ses colonnes d’Hercule.

— Mais, s’il est mort à Babylone, là où nous sommes arrivés ! dit Junot.

— Oui, reprit Bonaparte, il est mort à Babylone, mais au retour. Nous le suivons dans sa campagne, dans les vieux royaumes de Taxile et de Porus.