Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout les défilés formidables des Chalybes, ils découvrirent enfin la mer, du haut de la crête de Tèches et des montagnes de la Colchide. Il y a dans les armées intelligentes et voyageuses des traditions d’enthousiasme que la série des siècles ne peut interrompre. Ainsi, le 6e régiment de hussards, qui avait battu des mains devant les colosses de Memnon, comme avaient fait, sous Dioclétien, les Romains de la 10e légion de Mutius, ce brave 6e se trouvant à l’avant-garde sur la route de l’Inde, salua d’un immense cri de joie le golfe Persique, comme avaient fait les soldats.de Xénophon en découvrant l’Euxin.

À ce cri, Junot, avec son escadron de dromadaires de Syrie, Murat avec ses cavaliers, gravirent la dernière colline du cours de l’Eulœus, toute l’armée suivit, et vingt mille voix saluèrent la splendide nappe d’azur et d’or qui étincelait à l’horizon comme le miroir des cieux indiens.

Bonaparte, entouré de ses lieutenants, leur dit avec une émotion toute nouvelle :

— Mes amis, voila le chemin du Malabar et du Mysore ; là, depuis trente ans, des cris de détresse montent vers la France et le bruit de nos discordes civiles les a étouffés. Les colonies et les principes ont péri. À gauche, nous avons les antiques royaumes de Taxile et de Porus. Vis-à-vis est le port auquel Alexandre a donné son nom. Sur nous luit un soleil qui a fait éclore les grandes civilisations du Carnatic et de Java, les aïeules de l’Égypte et de la Grèce ! Voilà devant vous le berceau de la sagesse du monde, et la France, qui depuis cinq siècles a ouvert six fois les portes de l’Orient, la France a mérité de conquérir ces plaines, ces archipels, ces océans, ces