Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/38

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golfes, où la civilisation s’est éteinte, où le soleil seul a conservé sa lumière, où la vie partout va reparaître, au souffle arrivé de l’Occident.

Toute l’armée comprit alors la grande mission dont elle était chargée, et il fut évident pour chacun : le sens de cette mémorable parole, prononcée devant Saint-Jean-d’Acre : Le sort du monde est dans cette tour !

On se remit aussitôt en marche, avec une ardeur que la proximité du but semblait accroître, et après de nouvelles fatigues héroïquement subies, on arriva un soir à l’ancien port d’Apostona, devant l’île d’Alexandre.

Ce lieu était à peu près désert ; quelques maisons et des cabanes éparses fixèrent d’abord les regards ; mais les soldats d’avant-garde, en examinant le port, découvrirent, avec une surprise sans pareille, un drapeau tricolore qui s’élevait au milieu des antennes de quelques barques de pêcheurs. On apporta tout de suite cette curieuse nouvelle à Bonaparte, qui ne manifesta aucun étonnement, comme s’il eût attendu une pareille rencontre. En effet, il n’y avait là rien d’extraordinaire. Les mers indiennes voyaient passer, à cette époque, beaucoup de corsaires français qui prenaient toujours leurs relâches loin des possessions ennemies. C’était donc un corsaire compatriote, abrité dans le port désert d’Apostona.

Un instant après le doute s’éclaircissait.

Trois jeunes marins, dont l’attitude exprimait une stupéfaction sans égale, marchèrent vers l’avant-garde, et la saluèrent dans une langue qui fut comprise de tous. On s’embrassa d’abord, en attendant de se connaître, et le nom de Bona-