Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/42

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veilleux pèlerinages qui doivent fonder ou reconstruire les civilisations dans les pays du soleil. Les peuples qui ont méconnu cette attention de la Providence, et qui ont étourdiment bâti des villes au bord des mers polaires ou sur des fleuves glacés, reconnaissent, tôt ou tard, leurs fautes stupides ; alors les potentats septentrionaux font des rêves de soleil et de bains tièdes, s’agitent fiévreusement sur leurs couches de neige et cherchent des prétextes impossibles pour tracasser les peuples sages du Midi, qui ont refusé de se chausser de givre, de se vêtir de peaux de monstres et de se coiffer de glaçons.

Sans avoir lu l’histoire d’Alexandre, les soldats de Bonaparte savourèrent, le premier soir, les délices des bains macédoniens, et remercièrent la Providence, qui avait allongé le Bengale entre deux Thermes hygiéniques, ornés de perles et de corail, et chauffés gratuitement par le soleil. Dioclétien, Titus, Antonin Caracalla, ces trois illustres baigneurs du peuple romain, n’ont jamais égalé, avec leurs magnificences de marbres et de mosaïques, les Thermes du Neptune indien.

Bonaparte, qui savait par cœur l’histoire d’Alexandre, se rappela naturellement alors l’anecdote de Philippe, devant les bains macédoniens, et appelant Desgenettes :

— Mon cher docteur, lui dit-il, tâchez de vous mettre d’accord avec Denon. Il s’agit d’un trait médical d’histoire. Nos soldats, à leur première halte au bord de la mer, viennent d’imiter les guerriers d’Alexandre. Y a-t-il quelque danger pour cette armée de tritons ?

— Aucun, général, dit Desgenettes ; si Alexandre le Grand ne se fût baigné que dans le golfe Persique, il n’aurait pas