Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/45

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écoutaient gardaient les récits soigneusement dans leur mémoire, pour les transmettre à leurs camarades le lendemain.

Le corsaire français et le sergent Lamanon donnaient, sans le savoir, une curieuse leçon d’histoire aux soldats, sur le bord de ce golfe, qui est la première vague de l’Océan indien.

— Moi, disait le corsaire, je connais mieux que personne toute cette histoire ; je navigue en mer indienne, depuis quatorze ans : j’ai quitté Paris en 1785…

— Ah ! tu es Parisien ! dit Lamanon.

— Eh ! oui, je suis Parisien, puisque je m’appelle Honoré Lefebvre, dit le Corsaire !

— C’est juste fit Lamanon… Voyons, continue.

— Je te disais donc, Lamanon, que ce serait ta faute, si un jour les Anglais venaient à s’emparer des Indes.

— Ma faute ! s’écria le sergent.

— Je veux dire la faute de Paris, continua le corsaire. Heureusement Bonaparte arrive tout juste assez à temps pour réparer toutes vos sottises : car, une chose certaine, c’est celle-ci, Lamanon, écoute. Si les Anglais viennent un jour à s’emparer de l’Inde, le diable ne la leur arracherait pas. Aujourd’hui, on peut encore lutter avec eux, quoique ce soit déjà un peu tard. Ah ! si nos six ambassadeurs avaient réussi !

— Tu as envoyé six ambassadeurs, toi ! demanda Lamanon.

– Allons donc ! reprit le corsaire ; c’est Tippoo-Saïb qui les a envoyés a Louis XVI, par trois routes différentes, en 1787 ; un seul arriva, les autres restèrent en chemin.

– Un suffisait, dit Lamanon ; que fit-il ?

– Il ne fit rien ; est-ce qu’on peut parler colonies dans