Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/55

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duire Ovide. Tu as écorché Pyrame et Thisbé, comme leur lion ; tes vers sont durs comme des griffes. Il n’y en a qu’un seul qui m’ait fait rire, celui-ci :

Les paroles passaient, mais c’était peu de chose.


Cette dispute, fruit des mœurs de l’époque, fut soudainement interrompue par l’entrée de mademoiselle Saulnier.

C’était une superbe danseuse blonde, en costume transparent d’esclave parthe ; elle perça lestement, avec ses coudes d’ivoire et l’envergure de sa gaze, le bataillon sacré des poëtes, des écrivains, des journalistes, et, s’emparant de la barre chorégraphique, elle dit :

— Pardon, citoyens, je me suis décrété deux cents battements avant le troisième acte, laissez-moi travailler.

– Vous avez une salle superbe ce soir, dit Mallet-Dupan, citoyen de Genève, en offrant des pralines à la jeune Parthe.

— Et encore dit la danseuse, en lançant la pointe de son pied sur le front du journaliste, — et encore ! le théâtre des Amis-des-Arts nous enlève quatre cents écus au moins avec sa pièce de ce soir.

— Quelle pièce ? demanda Saint-Ange.

— Oui, je sais, dit le Génevois ; c’est un drame en cinq actes et en vers, l’Auberge allemande ou le traître démasqué.

— Voilà un titre ! dit la danseuse ; si je n’étais pas de service, je n’aurais pas manqué cette auberge allemande. Au théâtre, il n’y a que deux choses que j’aime les auberges et les traîtres. Si on ne les siffle pas ce soir j’irai la voir demain, avec mon ex-duc… Ce soir, nous sommes honorés, nous, de